UN FILM DE TIMOTHY ET STEPHEN QUAY
Titre original : Institute Benjamenta, or this dream people call human life
Le dvd a ses qualités. Nul doute que si j’avais découvert en salle Institut Benjamenta, un soir de haute fatigue, je me serais probablement endormi ou je serais passé à côté du film. C’est ce qui a failli m’arriver alors que le lendemain d’une trop courte nuit j’ai lancé le dvd. Au bout de 40 minutes j’avais les paupières lourdes, et je ne me sentais pas de continuer l’aventure. L’impression d’être face à un film d’auteur beaucoup trop exigeant bien qu’assurément intrigant. S’il y a bien une chose que l’on ne pourra pas dire des Frères Quay, c’est qu’ils ne savent pas réaliser. Chacun de leur plan est archi travaillé, époustouflant de beauté, dans un noir et blanc intemporel, avec une maîtrise de la lumière qui laisse sans voix. Ce sont ces restes d’images qui m’ont amené à remettre le film en marche, depuis le début, à lui donner une seconde chance, cette fois bien éveillé. Et je me suis laissé emporter.
Adaptation d’une œuvre de Robert Walser, ce long-métrage suit l’entrée d’un certain Jakob (Mark Rylance) à l’Institut Benjamenta, une école de formation pour majordomes. Personnel très réduit : à part le directeur (Gottfried John) et sa sœur formatrice Lisa (Alice Krige), il n’y a pas grand monde. On compte tout de même un certain nombre d’élèves. Jakob nous raconte qu’il entre à l’institut de son plein gré, bien conscient qu’il ne vaut et ne connaît pas grand chose, prêt à devenir un « zéro ». Car se former dans cette école sombre où l’on distingue difficilement le jour de la nuit, c’est accepter de se laisser progressivement formater, de s’abandonner pour arriver à un état de servitude espéré comme total. Pour cela, les cours et les exercices se répètent, aussi improbables et honteux soient-ils.
Les fameuses premières 40 minutes du film peuvent refroidir. Les Frères Quay ne sont pas de grands adeptes de la parole, leur œuvre emprunte beaucoup au cinéma muet. Là où ils se lâchent, c’est du côté des images, du son, des sensations. Quitte à paraître maniérés mais qu’importe : la force visuelle est là. Comme dit précédemment, Institut Benjamenta est un film mystérieux, qui ne cherche jamais à donner vraiment d’explication. On comparait souvent les œuvres de Walser et de Kafka et on retrouve de ça ici, une atmosphère étrange, un projet dans lequel on est invité à se perdre, à déambuler d’un couloir à l’autre, ne sachant plus bien quelle heure il est, qui est on est, si ce qu’on voit est la réalité ou un fantasme.
Si Jakob se dit déterminé à devenir un majordome complètement docile, il se montrera à plusieurs reprises assez rebelle. Il ne peut complètement débrancher son cerveau, il observe ceux qui l’entourent, se laisse dominer mais par son regard vient perturber le quotidien balisé des Benjamenta, habitués à des élèves bien plus classiques.
Impossible de ne pas être submergé par des interprétations, des métaphores. De ne pas se dire que cette école de majordomes est en quelque sorte une version miniature de notre société avec ses morales et ses codes imposés. Ne plus chercher à comprendre, à relever l’injustice, juste devenir un serviteur : cela peut aussi bien passer pour un abandon, une défaite, qu’une profession de foi.
Dans sa deuxième partie, le long-métrage devient plus accessible. Référence à des contes de fées plus ou moins apparentes (les élèves sont décrits comme semblables « aux nains de Blanche Neige », Lisa apparaîtra comme une Belle au bois dormant, Jakob comme le prince rebelle et Monsieur Benjamenta comme un vampire ou plutôt pour rester dans l’univers du conte, un ogre), thème de la domination/ soumission élargi au désir…Face à leur premier élève implicitement indomptable, le frère et la sœur Benjamenta perdent leurs moyens et entrainent dans leur confusion la déchéance de leur institution.
Jakob devient alors l’objet de toutes les convoitises, l’œuvre embrasse un côté Théorème, délaisse l’aspect cocasse et fantaisiste pour se faire plus tendue, plus subversive. Le spectateur est alors interrogé sur le monde qui l’entoure, la foi, le sens du devoir…
Institut Benjamenta s’achève ainsi comme une grande porte ouverte à bien des fantasmes. C’est une œuvre qui se mérite, qui a besoin d’attention, qui nécessitera peut-être plusieurs visions pour se laisser apprivoiser mais cela en vaut la peine. A la clé : des images inoubliables, magnifiées par une « lumière, personnage à part entière », des interprétations multiples au cœur d’un véritable projet d’auteur. A tenter.
Film disponible dès le 1er mars 2011 aux éditions ED DISTRIBUTION DVD
En bonus notamment un sujet qui explicite le film avec des interviews de l’équipe (environ 30 mn), un making of…Belle édition
Film sorti en salles le 23 février 2000